PREAMPLIFICATEUR

NAGRA MELODY

Introduit officiellement au dernier CES de Las Vegas, le préamplificateur Nagra Melody offre une alternative tout transistor et plus abordable au modèle phare du constructeur, le Jazz. Cette incursion dans le monde du silicium est sa première pour un préamplificateur haute-fidélité. Bien lui en a pris car les performances sonores sont de tout premier ordre.

Audio Technology Switzerland, la division haute-fidélité de Nagra, commence à mettre en application la nouvelle stratégie commerciale du groupe. Après un démarrage en fanfare avec le préamplificateur Jazz, voici qu’elle récidive avec un nouveau modèle moins coûteux baptisé le Melody. Le programme des prochaines réjouissances inclut des amplificateurs et une alimentation régulée MPS (pour Multiple Power Supply).Cette dernière sera équipée de circuits linéaires et pourra d’alimenter quatre électroniques Nagra afin de constituer un système Nagra complet (lecteur de CD, préamplificateur et amplificateur ensemble sur alimentation dédiée).

Au rythme du Jazz

Le développement du Melody est intimement lié à celui du Jazz. Ils ont été développés en parallèle et par conséquent ils ont un certain nombre de traits en commun. L’intention a été de créer un préamplificateur plus abordable au catalogue Nagra dont les qualités se complètent avec celle d’un amplificateur comme le MSA. La technologie transistor a ainsi été retenue essentiellement pour des raisons de budget. Pour l’anecdote, le nom de transistor a été donné à ce composant comme une abréviation de transresistor ou résistance variable (les électrons progressent au travers d’un matériau semi-conducteur), là où le tube se caractérise par sa transconductance ou conductivité variable (les électrons progressent dans le vide). Les ingénieurs ont ainsi ressorti les schémas des magnétophones Nagra IV-S et 4.2 pour développer un circuit proche de celui du Jazz, simple, court et transparent. L’autre moyen de réduire le coût du projet a été d’intégrer l’alimentation dans le châssis du Melody plutôt que d’utiliser l’alimentation indépendante ACPS II du Jazz. La réduction des interférences au sein du boîtier a été obtenue en capotant ce circuit très compact par un écran en mumétal. L’appareil est néanmoins pourvu du connecteur Lemo qui permettra de le raccorder à une alimentation 12 V externe. Nous avons pu essayer les deux méthodes et n’avons pas réellement décelé de différences flagrantes. Le Melody est également équipé d’un réglage global de gain (0 et 12 dB) qui permettra d’adapter la sensibilité du système complet en fonction du niveau du signal source. Un emplacement interne et une entrée RCA sont dédiés à une option phono MM et MC directement inspirée du Nagra BPS. Ce module qui pourra être installé en usine à la commande de l’appareil, reprend la même topologie de circuit et reçoit des transformateurs adaptateurs d’impédance Nagra.

Construction suisse

Le Melody est logé dans le même châssis que le Jazz et autres CD-P, en plaques d’aluminium vissées avec un capot amovible et une face avant épaisse équipée du vumètre maison, du réglage de volume et du sélecteur de sources en forme de flèches en aluminium massif. Un bouton d’ajustement de la balance, cinq micro-interrupteurs à bascule (illumination du vumètre, mono/stéréo, mise en sourdine, gain 0/12 dB et sélecteur d’une des deux sorties) et le récepteur infrarouge pour la télécommande complètent la panoplie de commandes frontales. La face arrière reçoit entre autres une fiche à vis pour raccorder l’écran du câble de modulation en provenance d’une platine vinyle, six paires de RCA dont cinq en entrées, filtrées contre les interférences radio-magnétiques, et deux paires de XLR (femelle en entrée et mâle en sortie). Il est à noter que toutes les entrées RCA sont flottantes et assimilables à des entrées pseudo-symétriques jusqu’à l’arrivée du signal sur le circuit d’amplification. Quant à l’entrée XLR, elle est destinée à un mode de fonctionnement en by-pass qui dirige le signal qu’elle reçoit directement à la sortie XLR. Toute la connectique est soudée sur des petites cartes, elle est commutée par des relais. Les circuits principaux sont répartis sur quatre circuits imprimés (étages audio et alimentations, potentiomètres, connectique d’entrée et gestion des commandes frontales) en verre époxy à quatre couches dorées. Les plans de masse sont répartis de manière à assurer un blindage efficace entre les signaux et à éviter toute boucle statique qui induirait de la ronfle. La carte mère est installée au fond du Melody sur des entretoises en élastomère. Le volume et la balance sont issus de potentiomètres Alps motorisés. Les composants actifs et passifs ont été sélectionnés pour leurs qualités sonores. On note des condensateurs Wima (découplage) et SCR (liaison) au polypropylène, des résistances à film MELF pour montage en surface réputées pour leur extrême fiabilité et leur excellent comportement sur impulsion. Quant aux transistors déjà mis en œuvre sur d’autres productions Nagra, ils sont tous bipolaires et présentent notamment des capacités interélectrodes particulièrement faibles. Moins de 30 % des transistors achetés seront retenus après triage puis appairage selon les critères drastiques du fabricant.

Fabrication et écoute

Construction : Nul doute, nous sommes bien en présence d’une réalisation de l’entreprise de Romanel sur Lausanne. L’esthétique irremplaçable, dont le célèbre galvanomètre à double aiguille, signe une électronique qui bénéficie du soin et du professionnalisme Nagra. Le châssis en aluminium crée une chambre blindée pour les circuits électroniques dont le seuil de bruit est extrêmement bas. La qualité du travail interne est superbe, l’implantation rappelle celle du Jazz. On apprécie également la possibilité de pouvoir raccorder le Melody directement au secteur sans avoir besoin du boîtier d’alimentation basse tension externe habituel chez Nagra.

Composants : Le constructeur a fait quelques coupes budgétaires sur le Melody afin de le proposer à un prix vraiment attractif pour un préamplificateur de haut de gamme. Pas au niveau du châssis qui reste entièrement d’origine suisse, mais les coûteuses WBT Nextgen du Jazz disparaissent notamment pour laisser place à des RCA très qualitatives dorées, isolées au téflon et soudées directement sur un circuit imprimé. Les technologies passives sont en revanche reconduites avec des condensateurs à film plastique en liaison interétage et des résistances MELF de précision sur l’intégralité des étages audio. Quelques petites nappes connectent les cartes entre elles.

Grave : D’un point de vue subjectif, l’écoute du Melody rappelle incontestablement celle du Jazz sur les traces duquel il marche. La contrebasse sur la piste « My Treasure » par Sinne Eeg (The Dali CD volume 3) conserve une remarquable tension des cordes et de la caisse de résonance. L’instrument est là, devant nous (l’enregistrement est très réussi, très transparent), on sent et ressent les vibrations du bois et des cordes sans la moindre impression de gonflement exagéré de la caisse ou de cordes trop souples. Idem sur la partition du « Moonlight on Spring River » par Zhao Cong où la modulation dans l’extrême grave et l’assise sont bonifiées par une lecture articulée du Melody.

Médium : Le challenge était osé car, après le lancement d’une bombe comme le Jazz à tubes, Audio Technology Switzerland s’est risqué à dévoiler le Melody à transistors. Rien à voir avec le coup du lapin dans le chapeau puisque le projet avait longuement mûri, mais nous l‘attendions d’oreille ferme. Très sincèrement, nous avons été emballés par le registre de médium du Melody qui ne souffre d’aucune signature typique à la technologie transistor, composant qui n’est autre qu’une résistance variable… Le préamplificateur suisse jongle magistralement avec la fluidité et la vivacité. La texture proposée semble dense et tissée avec du fil très fin. En d’autres termes, le relief du message insuffle une présence qui s’approche de celles des très bons préamplis à tubes comme le Jazz, et la quantité de détails distillés confèrent une superbe justesse de timbres à chaque note.

Aigu : Sur ce critère également, le Melody nous ravit d’une analyse très fouillée et très matérielle. Fort heureusement, le transistor à la sauce Nagra s’affranchit avec aisance des artefacts de la technologie qui inflige très souvent des caractéristiques d’ultra- analyse et d’ultrabande passante au détriment de tout réalisme. N’est pas Nagra qui veut. C’est tout l’inverse avec cette électronique qui file haut tout en douceur vive sans la moindre sensation de rendu démonstratif, répétitif ou systématique. Les percussions sur la piste « Moonlght on Spring River » de Zhao Cong distillent un éventail harmonique extrêmement documenté, on apprécie après l’impact les couleurs métalliques de l’instrument dont les vibrations se déclinent avec une foultitude de micromodulations.

Dynamique : L’introduction orchestrale de la Marche de Radetzky par le Concentus Musicus Wien ne manque pas de souffle. On perçoit précisément les variations de modulation de chaque instrument au sein du groupe. Les écarts dynamiques significatifs sont restitués par le préamplificateur sans l’ombre d’un tassement ou d’une confusion. Le message conserve une très grande rigueur et toute sa crédibilité même à niveau d’écoute élevé. Les circuits du Melody semblent pouvoir encaisser des signaux de forte amplitude qu’ils traitent sans distorsion, probablement un réflexe acquis par la longue expérience professionnelle de la société…

Attaque de note : Nous avons subjectivement retrouvé avec le Melody ces notions de réactivité et de vivacité que nous avions énormément appréciées avec le Jazz. Sans rapport avec un son spécifique ou une signature sonore, ces notions traduisent essentiellement un comportement qui calque au plus près le contenu musical d’une piste. De fait, l’appareil est capable de développer chaque note avec une remarquable étoffe harmonique. Sur les attaques, on apprécie d’abord le côté vif, impulsionnel, immédiat, en rythme de la restitution, puis on savoure un développement foisonnant de couleurs et de détails qui s’éteint naturellement. Et une fois encore, le niveau d’écoute n’influe aucunement sur cette réactivité et cette vivacité naturelles.

Scène sonore : La scène sonore pourrait quelque part s’assimiler au résultat d’une dérivée mathématique de notre critère « Attaque de note ». L’aptitude d’un appareil à restituer le plus d’informations harmoniques contenues dans un signal lui confère une prédisposition logique à installer une scène sonore crédible. Le Melody paraît n’intercaler aucun voile ni aucune barrière entre l’auditeur et la performance. L’insertion du Melody dans notre configuration repère semple apporter un léger supplément de véracité à nos pistes habituelles, notamment en termes d’aération, de niveau de bruit de fond (silences) et de microdétails d’ambiance. La scène sonore donne le sentiment d’être un peu plus réelle avec une image stéréo extrêmement stable et naturellement dépendante de la performance, et une focalisation millimétrique des sources virtuelles.

Transparence : Tout comme le Jazz en particulier et les électroniques High End du constructeur en général, nous avons particulièrement apprécié la restitution du Melody pour sa réponse en fréquence très linéaire, sa haute définition et sa palette tonale extrêmement variée. On ne ressent aucun stress, aucune hésitation, aucune espère de distorsion sur les messages complexes qui ne déstabilisent jamais l’équilibre de l’électronique helvète. Au contraire ce sont l’apaisement, la souplesse et la neutralité qui prédominent.

Rapport qualité/prix : Un bouquet de performances sonores et un pedigree technique comme en offre l’Audio Technologie Melody se négocient à bon prix sur le marché actuel de la haute-fidélité d’exception, sans même parler de la qualité de fabrication légendaire du constructeur suisse. Pourtant, l’appareil dans sa version de base (préamplificateur ligne) est proposé à 6 500 euros, ce qui constitue un certain tour de force. La somme reste bien évidemment conséquente pour le commun des mélomanes, mais devient vraiment raisonnable si on commence à comparer les qualités du produit face à la concurrence dans un créneau allant du simple au double du prix. La qualité Nagra en plus…

Verdict

Le Nagra Melody est un magnifique préamplificateur qui devrait connaître un succès rapide auprès d’une clientèle éprise de musicalité, de fiabilité et de réputation mais qui n’aura pas forcément des moyens financiers illimités. Conçu dans le même esprit de grande neutralité que son aîné, le Jazz, mais à partir d’un schéma à transistors, le Melody restitue la musique avec une classe immense et une rigueur digne des réalisations pro du constructeur. Enfin, l’objet esthétiquement séduisant est remarquablement fabriqué. Un pur produit très haute-fidélité que nous recommandons sans hésitation.

Fiche technique

Origine : Suisse
Prix : 6 500 euros
(7 750 euros avec option préphono)
Dimensions : 310 x 76 x 254 mm
(châssis hors connecteurs)
Poids : 3 kg
Réponse en fréquence :
10 Hz - 50 kHz à +0/-1 dB
Distorsion : < 0,02 % (1 kHz, 1 V RMS)
Rapport signal sur bruit :
> 75 dB pondéré
Impédance entrée : 75 K
Impédance de sortie :
47 ohms (RCA), 100 ohms (XLR)
Entrées : 5 RCA dont une réservée
à l’entrée phono,
1 XLR (pseudo-symétrique)
Sorties : 1 RCA, 1 XLR
(pseudo-symétrique)

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