ENCEINTE

P-E LEON ALYCASTRE

Une nouvelle enceinte Pierre-Etienne Léon est toujours un événement pour notre petite communauté audiophile. Les Alycastre sont une déclinaison des Maestral. Elles ont bénéficié du développement de ces dernières et adoptent une trame technologique similaire tout en délestant le prix. Bonne nouvelle, d’autant plus qu’elles sonnent remarquablement.

Deux compactes et trois colonnes constituent le catalogue du constructeur d’Allauch, commune des Bouches-du-Rhône dont les collines environnantes ont été chantées par Marcel Pagnol et Jean Giono. C’est donc à mille lieues du stress parisien et au son des cigales que Pierre-Etienne Léon conçoit et réalise ses enceintes acoustiques, depuis la bibliothèque Quattro+ jusqu’aux colonnes Maestral, son vaisseau amiral. Sa dernière création en date s’appelle l’Alycastre et ressemble à presque s’y méprendre à la Maestral, avec un encombrement et une disposition des haut-parleurs quasi similaires.

Une succulente bouillabaisse technologique

Sous ce titre humoristique se dissimule en fait une réalité. La célèbre bouillabaisse marseillaise est une recette traditionnelle dont la réussite dépend du savoir-faire de celui qui la prépare. Les bons poissons, les bonnes épices, la bonne cuisson, bref un pas de travers et le plat ne devient rien de plus qu’une simple soupe de poissons. L’allusion sympathique au plat méditerranéen rappelle l’origine de l’Alycastre qui naît à quelques kilomètres de la cité phocéenne. Mais comme une bouillabaisse, l’enceinte ne serait pas ce qu’elle est sans le savoir-faire technique de son géniteur qui a repris quelques principes technologiques fort intéressants, comme le Cross Flow qu’il utilise pour charger les haut-parleurs de grave de ses colonnes. Cette charge acoustique est composée de deux cavités couplées acoustiquement dont les parois ne sont pas parallèles et qui sont dotées de renforts internes. Cette disposition équilibre la pression derrière les haut-parleurs et crée une régulation du flux d’ondes à l’intérieur de l’enceinte. Les ondes stationnaires sont ainsi tuées dans l’œuf, ce qui permet d’éviter les toniques souvent rencontrées avec le principe bass-reflex, que n’est pas le Cross Flow. On distingue bien un évent cylindrique à l’arrière de l’enceinte, mais celui-ci sert à finaliser l’accord très précisément ajusté entre les deux cavités, permettant d’obtenir une réponse en fréquences très étendue et bien articulée dans le grave.

Du bois et deux voies

L’Alycastre est une enceinte à trois haut-parleurs à deux voies électrique et filtre acoustique. En fait, les deux haut-parleurs de grave ne sont pas chargés de façon identique, car ils sont installés par rapport à la charge Cross Flow selon une disposition appelée Symetric Phase Control qui tend à respecter la phase des signaux émis dans le grave par chacun d’eux. Ces unités sont des transducteurs de grave médium de 18 cm d’origine norvégienne SEAS montés symétriquement par rapport au tweeter à dôme. Cela rappelle une configuration D’Appolito, mais ce n’en est pas une car, justement, les SEAS ne sont pas chargés de la même manière. Leur membrane est en polypropylène et carbone tressés appelée Curv. Cette structure possède un excellent amortissement interne. Elle est montée sur un saladier en métal injecté à branches très fines et spider décompressé. La pièce polaire en T est baguée de cuivre afin de réduire la distorsion d’intermodulation. La très légère bobine mobile en aluminium cuivré longue de 39 mm de diamètre autorise de très longues élongations. L’ogive centrale montée en bout de noyau réduit les effets de compression dus aux variations de température de la bobine, minimise les effets de résonance et régularise la courbe de réponse. Quant au tweeter d’origine SB Acoustics, il est le fruit d’un design danois et d’une fabrication indonésienne. Son dôme double annulaire à bobine mobile de 29 mm en aluminium cuivré est en fibres de soie non résonantes. Le centre de ce dôme est relié à une pièce qui fait office de référence mécanique. Ce type de montage diminue considérablement la distorsion par harmoniques tout en étendant la bande reproduite dans le haut qui s’atténue ensuite en pente douce, sans rupture d’énergie. Le noyau est recouvert de cuivre pour réduire l’inductance de la bobine et les variations de phase. L’arrière du dôme débouche dans une cavité amortie afin d’améliorer la dynamique (pas de retour d’ondes qui pourraient freiner le dôme). Le filtre électrique est câblé en l’air selon une structure à déphasage minimum qui met en œuvre des composants Mundorf, dont des inductances à ruban cuivre. Le fabricant a attaché beaucoup d’importance à la réponse en phase et impulsionnelle de l’ensemble. Le câblage interne est « maison », et les deux bornes Mundorf en cuivre plaqué or sont installées à l’arrière d’une ébénisterie réalisée en médium de 25 mm dont les parois sont plaquées en cerisier sur les deux faces. Les haut-parleurs sont installés sur un contre-baffle façonné de même matériau. L’ensemble repose sur un socle en médium de 40 mm reposant sur trois pointes, dont un cône massif à l’avant qui canalise l’écoulement des vibrations vers le sol. On pourra adjoindre deux autres pointes de part et d’autre du cône central, mais qui ne toucheront pas le sol afin d’éviter les risques de basculement.

Fabrication et écoute

Construction : Les Alycastre rappellent sans équivoque leurs aînées Maestral. Dimensions très similaires, configuration physique identique des haut-parleurs, fabrication très soignée reprenant un placage en essence naturelle de bois sur les deux faces de chaque paroi très épaisse, assemblage ultra-précis, bref l’objet est beau. Malgré une esthétique au classicisme tranquille qui indique clairement que le constructeur ne souhaite pas emboîter le pas de ses confrères allemands ou américains assez tournés vers le galbe et l’aluminium, les Alycastre rassurent, les Alycastre séduisent.

Composants : Le fabricant a privilégié son principe de charge acoustique Cross Flow qu’il reprend sur plusieurs de ses réalisations, système qui permet une exploration généreuse des soubassements et une maîtrise des ondes stationnaires. Le choix des transducteurs d’origine scandinave et des composants passifs de filtrage en provenance d’Allemagne montre et démontre toute l’attention apportée par M. Léon à la conception de l’Alycastre. Plutôt que de se laisser bercer par les sirènes économiques du composant asiatique à prix défiant toute concurrence, ce auquel Pierre-Etienne Léon n’a jamais cédé, le fabricant a une nouvelle fois opté pour des solutions technologiques nettement plus qualitatives et forcément plus coûteuses. Bien lui en a pris.

Grave : Sur nos pistes repères, le grave des Alycastre semble descendre un poil plus bas et avec un peu plus de niveau que ce que nous connaissions avec les Maestral. Par contre, nous l’avons trouvé un petit peu moins précis sur les contours de notes et légèrement moins ferme sur le développement. La contrebasse (piste « My Treasure » par Sinne Eeg, The Dali CD volume 3) est restituée avec une très belle ampleur et un superbe effet de présence, mais les vibrations des cordes et de la caisse de résonance de l’instrument accusent un soupçon d’emphase. Rien de gênant, et d’ailleurs cette caractéristique pourra même aider à compenser l’équilibre montant d’un système. On apprécie l’absence de voile dans le haut grave dont la remarquable définition dépasse allègrement ce qu’on entend régulièrement avec des concurrentes dans une catégorie de prix allant du simple au double de celui des Alycastre.

Médium : Le constructeur s’est forgé une réputation totalement justifiée de fabricant d’enceintes acoustiques « qui timbrent bien ». Effectivement la grande richesse harmonique que nous offrent les Alycastre aboutit à une justesse et une structure de timbres de très haute volée, notamment sur les voix qui bénéficient de cette faculté des colonnes à reproduire toute la complexité et toute la texture d’un signal musical. Le message se propage de manière extrêmement fluide, extrêmement coulée, avec une déclinaison de détails harmoniques qui renforce sa compréhension, sa crédibilité et sa vivacité. La voix de la soprano Marlis Petersen (piste « Ach um deine feuchten Schwingen » de Félix Mendelssohn) est distillée avec une étonnante impression de palpabilité, avec un somptueux relief qui insuffle de la chair et de l’os à l’écoute. C’est magnifique.

Aigu : Les Alycastre ont boudé le tweeter Scan Speak Revelator de la Maestral, réputé pour ses grandes qualités de finesse et de précision d’analyse, au profit d’un autre modèle de conception nordique également. Avouons que nos inquiétudes et autres idées reçues du genre « remplacer un Scan Speak, quelle hérésie ! » ont été balayées dès les premières mesures de musique. Le registre semble nourri d’un supplément de matière et de douceur tout en explorant l’extrême aigu avec une grande délicatesse. Le dégradé harmonique paraît subjectivement très complet et très cohérent en termes de rangs et d’amplitude. De ce fait, le rendu d’une cymbale ou d’un charleston semble un peu moins éloigné du son réel, l’impression de « voir » l’instrument dans la pièce (« Gotcha » de Patricia Barber) indique que l’analyse des Alycastre est dans le vrai.

Dynamique : Une enceinte dynamique fait référence à une enceinte capable de restituer les écarts dynamiques d’un signal musical dans toute leur intégralité. Que le signal soit pianissimo ou fortissimo, l’enceinte doit être en mesure de restituer toutes les différences de niveau sonore que le signal véhicule. Les Alycastre sont à n’en pas douter des enceintes tout à fait réactives qui savent introduire ces notions essentielles d’énergie et de rythme dans leur restitution. Sur la Marche de Radetzky dirigée par Nikolaus Harnoncourt (CD Sony), dont l’introduction de l’orchestre n’est qu’un défilé de transitoires et d’impulsions, les colonnes conservent une maîtrise tonale assez spectaculaire avec une absence totale de confusion (lisibilité étonnante) et un déploiement harmonique remarquable. Hormis la grosse caisse dont les impacts restent courts en puissance instantanée, on reconnaît et on désigne chaque instrument par sa partition précisément modulée.

Attaque de note : La légèreté des membranes et leur mise en phase optimisée sont en grande partie responsables de la rapidité d’exécution des Alycastre. Hormis le léger manque dynamique en bas, ces enceintes sont pétillantes à souhait et cette vivacité s’entend à chaque démarrage de note. S’ensuit un cortège harmonique très fourni qui intensifie l’épaisseur, la définition et la véracité du message. Sur la piste « Moonlight on Spring River », la pipa de Zhao Cong nous a semblé moins crispée qu’à l’accoutumée grâce à une diversité tonale supérieure, avec notamment des extinctions de notes prolongées par rapport à nos écoutes habituelles et des silences plus marqués, plus intenses. L’instrument que nous connaissions plus rude et plus vert a retrouvé de la matière et du soyeux.

Scène sonore : Ces enceintes ne présentent pas de difficultés particulières en ce qui concerne le placement dans la pièce. Comme l’indique le fabricant, l’évent arrière n’est pas un évent d’accord bass-reflex et donc la proximité du mur sera moins critique qu’avec une enceinte plus traditionnelle. Nous avons été totalement séduits par la présentation scénique développée par les Alycastre. La scène sonore est très aérée, très ample, très spatiale, très holographique. A un point tel que nous avons le sentiment que sur ce critère précisément, ces enceintes pourraient se mesurer aisément à beaucoup plus ambitieuses qu’elles. C’est un régal d’effets de perspective dans tous les plans géométriques. On apprécie visuellement la position des interprètes, d’une part, et les dimensions d’une salle et d’un studio, d’autre part, comme Lisa Ekdahl et le Peter Nordahl Trio sur le sensuel « When do you leave Heaven » où l’envoûtante chanteuse se détache très nettement des musiciens dans un studio qu’on devine assez large.

Transparence : Signe qui ne trompe pas, nous nous sommes surpris à écouter plus de pistes repères que d’habitude et en intégralité. En vérité, pas mal de petits détails se sont révélés à nos oreilles, insufflant plus de netteté et de définition au message. L’équilibre tonal est extrêmement linéaire sans aucun accident subjectif, absolument aucun. Leur réponse en fréquence très étendue permet aux Alycastre de reproduire les premiers harmoniques en toute amplitude, notamment les jeux de tuyaux courts de l’orgue qui ont une fondamentale située entre 7 et 8 kHz (fondamentale la plus haute de tous les instruments acoustiques). On ne sent aucune coloration du message toujours aéré, toujours fouillé. Chaque piste donne lieu à une ambiance, à une atmosphère, à un son qui ne donnent jamais l’impression d’être manipulés par ces enceintes subtiles et très neutres.

Rapport qualité/prix : La dernière création de Pierre-Étienne Léon vient s’intercaler entre les colonnes Kantor S2 et Maestral. Ceux qui ont pu écouter ces deux modèles ont à coup sûr apprécié leurs qualités respectives fondamentalement empreintes de transparence, de grand respect des timbres et de neutralité. A l’évidence, ces trois modèles sont bien l’œuvre d’un passionné mélomane qui connaît son métier. Pour un produit haut de gamme doté d’autant de qualités, le prix de vente des Alycastre reste raisonnable dans l’absolu. Mieux, si on commence à comparer le modèle à la concurrence actuelle dans cette gamme de produits, il est sûr et certain (nous sommes prêts à prendre les paris…) que la colonne d’Allauch mettrait subjectivement KO bon nombre de compétiteurs plus chers, plus ésotériques, plus « tout ce que vous voulez ».

Verdict

Décidément Pierre-Étienne Léon n’a pas fini de nous étonner. Après les Maestral dont nous nous servions depuis quelques années comme enceintes repères, après les modèles Quattro II, Kantor S2 et Serena que nous avions fortement appréciés lors de leur passage au magazine, c’est au tour des Alycastre de recevoir notre approbation et notre recommandation. Très bien fabriquées, dotées de composants de haute qualité, elles dispensent un message musical étonnamment juste et enjoué. Timbres de première classe, holographie de la scène sonore, remarquable équilibre tonal, elles regroupent tous les ingrédients pour une restitution qui réduit l’écart entre réalisme et réalité, sans oublier leur prix vraiment attractif dans cette gamme de produits. C’est simple, ce sont désormais les enceintes de notre système de référence !

Fiche technique

Origine : France
Prix : 7 000 euros
Dimensions :
1 240 x 210 x 375 mm
Poids : 37 kg
Réponse en fréquence :
33 Hz – 25 kHz
Puissance nominale :
90 W (190 W crête)
Impédance : 4 ohms
Sensibilité : 90 dB/W/m

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