ENCEINTE
C’est au cours du dernier salon Haute Fidélité que nous avons rencontré l’importateur français de Living Voice. Encore mal connue en France, cette société britannique conçoit et réalise des enceintes acoustiques depuis plus de vingt ans avec la seule et unique obsession de s’approcher au plus près du son original. Avec des recettes technologiques qui pourront surprendre…
La société créée en 1991 a rompu dès le début avec les traditions en proposant des enceintes atypiques dont les exceptionnelles Air Partner de 1991 ou les Vox Olympian de 2010. La philosophie de conception porte fondamentalement sur l’appréciation musicale plutôt que sur les spécificités de la qualité d’un son. Chaque enceinte est développée pour qu’elle traduise au mieux la performance et qu’elle en extraie l’essence musicale. Le catalogue comprend des enceintes avec la Vox Olympian, au sommet, suivie de la série Auditorium basée sur quatre modèles et deux variantes, et un meuble baptisé G8 et construit sans concession à partir de bois durs et de bronze. La R2 est déclinée en deux modèles, l’IBX-R2 de ce banc d’essai et l’OBX-R2. La différence réside dans le placement du filtre de séparation, en interne pour la IBX (I pour inside) et en externe pour la OBX (O pour outside).
Le moindre détail
Kevin Scott est le concepteur des enceintes Living Voice. Ce mélomane et brillant ingénieur n’imagine une enceinte que dans le seul but qu’elle fasse apprécier la musique. Et tant pis si les technologies mises en œuvre ne répondent pas aux canons marketing du moment pourvu qu’elles fassent émerger plus d’intensité, plus d’émotion, plus de réalisme. Les IBX-R2 testées ont été conçues il y a plusieurs années déjà dans la plus pure tradition britannique de l’enceinte acoustique. Autrement dit, point d’aluminium ou de résine synthétique, exit les membranes exotiques, haro sur les laques glamourissimes. Cette colonne à deux voies rappellerait plutôt les Spendor BC1 (les vraies, celles de première génération) ou autres Rogers de la grande époque de la BBC en ce qui concerne l’esprit et l’esthétique. Néanmoins Kevin Scott est allé au fond des choses dans la conception de ces IBX-R2 en sélectionnant chaque matériau selon son rendu musical, et uniquement le rendu musical. Comme pour l’ébénisterie qui sonne presque comme un tonneau quand on la frappe. Évidemment, ça dérange. En fait, les toutes premières enceintes Living Voice étaient habillées par Castle, petit fabricant d’enceintes qui utilisait une sorte d’aggloméré appelé « chipboard » à base d’un mélange précis de colle et de fibres de bois tendre de différentes dimensions. Pas cher, mais musicalement beaucoup plus vivant que le médium dans le cadre d’une enceinte abordable. Après un changement de fournisseur de caisses, Living Voice dut procéder à de nombreux essais pour retrouver « la » formule de chipboard (densité et épaisseur notamment) qui correspondait au résultat sonore recherché. En termes d’épaisseur, les IBX-R2 ont des parois fines de 18 mm. Selon le constructeur, le son perd toutes ses couleurs avec des parois épaisses qui stockent puis dissipent les vibrations en chaleur. Il préfère des parois « souples » sans mémoire mécanique qui évacuent la vibration aussi vite qu’elle est arrivée. Démarche identique pour les haut-parleurs de grave médium fabriqués par Vifa sur le même cahier des charges strict depuis la première R2. On note à ce propos que le saladier est toujours et encore en tôle emboutie, préférée à l’aluminium pour une meilleure fluidité du son et des silences plus profonds.
Deux voies, sinon rien
La IBX-R2 est une colonne deux voies équipées de trois haut-parleurs, dont deux unités de grave médium de 17 cm positionnées de part et d’autre d’un tweeter à dôme souple de 29 mm. Le tweeter est décalé dans la largeur, ce qui permettra de travailler l’image en fonction du positionnement dans la pièce. Chaque 17 cm reçoit une membrane en papier enduit très légère avec une bobine de petit diamètre et une suspension en mousse. Ils sont montés dans une charge bass-reflex avec renforts internes et évent arrière. Le câblage électrique parallèle permet d’augmenter la surface rayonnante. Les efforts appliqués sur l’ébénisterie sont réduits et la sensibilité globale alignée sur l’efficacité naturelle du tweeter Scan Speak Revelator D2905 sans adjonction de réseau passif d’égalisation. Ce modèle à dôme en textile utilise un aimant néodyme symétrique et grimpe avec une remarquable linéarité jusqu’à 30 kHz. Le concepteur a favorisé le montage en deux voies plutôt qu’en trois voies, car les fréquences médium transitent par deux filtres en trois voies contre un filtre en deux voies. Le filtrage est distinct pour le grave médium et pour l’aigu, et aboutit à l’arrière sur deux paires de bornes isolées avec straps filaires. Un soin extrême a été porté au positionnement de tous les composants entre eux, et notamment les inductances à air (orientation mutuelle et distance qui les sépare). La proximité entraîne des variations de valeur des inductances et de la diaphonie sur les pointes de modulation, notamment. Et il y a ce petit socle noir reposant sur quatre pointes réglages et couplé à l’enceinte via quatre pastilles de Blu-Tac, pâte amortissante de couleur bleue. Il a demandé de nombreuses heures d’études (forme, dimensions, matériaux) et d’écoutes pour aboutir à une osmose sonore avec l’enceinte. Il est fabriqué en chipboard plaqué sur ses seize faces puis recouvert d’une double couche de matériau composite noir. La faible épaisseur de ses parois exige un insert en époxy pour consolider le vissage des pointes.
Fabrication et écoute
Construction : L’habit ne fait pas le moine. La IBX-R2 est une colonne très bien fabriquée et finie dans la plus pure tradition britannique. Le constructeur a apporté un soin particulier au choix des composants (au sens large du terme) de l’enceinte, notamment au niveau du bois, des haut-parleurs et également du petit socle absolument indispensable pour découvrir la musicalité énorme dont est capable
ce modèle.
Composants : La constitution du matériau utilisé dans la construction de l’enceinte a été optimisée après de nombreux tests d’écoute, une démarche très probablement unique à ce jour. Les haut-parleurs d’origine scandinave proviennent de fournisseurs de réputation mondiale. Les unités de grave médium répondent à un cahier des charges Living Voice et sont à ce titre uniques. Le filtrage a été finalisé par un travail de positionnement relatif entre composants pour limiter les perturbations mutuelles. Il est certain que pratiquement aucun constructeur de la planète n’offre un tel degré de mise au point quel que soit le prix du produit.
Grave : Le constructeur a volontairement utilisé des parois assez minces dans une enceinte très peu amortie. L’idée est de permettre aux vibrations qui vont forcément apparaître de s’éteindre le plus rapidement possible sans créer de « stockage » d’énergie par de l’épaisseur et l’amortissant. C’est un choix mécanique assumé qui trouve par ailleurs un allié dans la sensibilité assez élevée de l’enceinte. L’écoute n’exigera ainsi pas de gros niveaux de signal pour que le volume sonore soit plus que suffisant, l’ébénisterie ne sera pas trop sollicitée en pression. Néanmoins le mariage avec le reste du système demande plus d’attention qu’avec des enceintes lambda car, malgré cette théorie séduisante, la pratique ne donne pas forcément les résultats escomptés. Après une première tentative franchement décevante, nous avons tenté d’autres combinaisons de maillons pour arriver in fine à un registre convaincant. La contrebasse accompagnant Sinne Eeg interprétant « My Treasure » a retrouvé un volume virtuel plausible, des couleurs de caisses chatoyantes et une étonnante exploration des octaves inférieures grâce à l’articulation retrouvée des notes.
Médium : C’est très certainement sur ce critère que la magie musicale opère. De manière radicale, irréversible. Obtenir une telle justesse de timbres, une telle fusion tonale sans la moindre ingérence d’une note, d’un harmonique sur son voisin relève quasiment du miracle, surtout quand on contemple l’enceinte visuellement assez basique. La cohérence de phase est parfaite à tel point que l’illusion d’un son diffusé par un seul et unique haut-parleur est permanente. Au-delà de ces mots techniques et rébarbatifs, il est assez compliqué de traduire ce qu’on éprouve à l’écoute des IBX-R2 si ce n’est qu’on ressent comme une impression de réalisme exacerbé, de vraie texture musicale, de relief sonore. D’accord, le grave est peut-être exigeant, mais ces colonnes semblent redéfinir ce qu’il est possible d’éprouver avec un produit très sérieusement optimisé. Sur la piste « Ach, um deine feuchten Schwingen » de Félix Mendelssohn interprétée par Marlis Petersen, les Living Voice nous ont gratifiés d’une des plus belles restitutions qu’il nous ait été donné d’apprécier jusqu’à aujourd’hui, tous prix confondus ! La présence de la soprano envoûte littéralement, la palette de modulations de sa pulpeuse voix est d’une variété exceptionnelle, on peut entendre et discerner les variations les plus infimes de tonalités sans la moindre hésitation.
Aigu : Ce registre parachève et sublime les qualités du médium. Les ultimes fins de notes n’échappent pas à la pugnacité naturelle des IBX-R2 qui magnifient l’effet de réalisme ambiant. L’essentiel du contenu musical est reproduit par les unités de grave médium, mais la fluidité du message doit beaucoup au subtil apport du tweeter dans les fréquences supérieures, celles-là même où les harmoniques permettront d’identifier une atmosphère, un instrument ou un lieu. Sur le « Moonlight on Spring River » de Zhao Cong, les ambiances certes artificielles sont restituées avec une ampleur peu commune dans l’espace. La pipa solo en introduction perd une grande part de la verdeur qu’on lui connaît habituellement pour gagner en épaisseur et en définition grâce au dégradé harmonique très étoffé des extinctions de notes.
Dynamique : Ce sont les qualités tonales des IBX-R2 qui interpellent immédiatement. L’évidence des timbres et la précision spatiale font en fait oublier l’aspect dynamique des choses. Car, mine de ne pas y toucher, les Living Voice sont dynamiques au vrai sens du terme, capables de retranscrire tous les écarts de modulation contenus dans une partition ou dans un enregistrement. Leur flegme inné a du bon en ce sens qu’elles n’essaient pas d’attirer le chaland en en faisant plus que dans la réalité, cette réalité relative de bonne ou de mauvaise qualité contenue sur le support. En revanche et en écoute domestique, c’est-à-dire le type d’écoute pour lequel elles ont été conçues, elles savent délicieusement et précisément restituer au plus près la gamme dynamique comprise entre les plus infimes pizzicati et les plus délirants fortissimi (Symphonie n° 11 de Chostakovitch).
Attaque de note : A l’instar de leurs capacités dynamiques dont elles font montre à bon escient et dans une très juste mesure, les IBX-R2 excellent dans la restitution des transitoires. Comme pour la dynamique, elles n’affublent le message d’aucun stress ni d’aucune urgence qui font souvent penser – et à tort – d’un appareil qu’il est rapide ou transparent. Il s’agit pour les Living Voice d’immédiateté et de densité simultanées. La première qualité sans la seconde aurait conduit à un son brillant et sans relief, tandis que la seconde sans la première aurait versé dans la matité. Les IBX-R2 dosent magistralement ces deux vertus de sorte que le message est à la fois vif, expressif, impliquant. A la réflexion, cette combinaison n’est pas monnaie courante et n’est l’apanage que de quelques modèles de très haut niveau. Très belle performance !
Scène sonore : La plénitude de la scène sonore fait merveille. L’impression d’« y être » a rarement été aussi bien concrétisée qu’avec les Living Voice dont la lecture musicale approche une certaine perfection. Chaque enregistrement, chaque piste donne lieu à une présentation spécifique en rapport direct avec le contenu du support. Un autre point qui distingue ces colonnes anglaises est leur immense talent à reproduire chaque son (note de musique, bruit d’ambiance, réverbérations, etc.) avec relief et énergie, ce qui insuffle un superbe effet holographique au message quel qu’il soit. La précision de l’étagement des plans sonores est impeccable, de même que la précision de l’entrelacement des notes entre elles est magnifique. La lisibilité est telle qu’on distingue chaque ligne harmonique en temps et en amplitude au sein de chaque note distillée. On est proche de la réalité.
Transparence : Nous avons été frappés à l’écoute de ces colonnes par l’étonnante similitude entre son reproduit et son réel, entre ambiance reproduite et ambiance réelle. Il ne vient même plus à l’idée d’évoquer le comportement de l’enceinte dans telle ou telle région du spectre, ni même d’aborder la musicalité en termes de dynamique ou de réactivité sur transitoires, ou encore de parler de bande passante étendue ou d’équilibre linéaire. Non. On est interpellé par le réalisme permanent du message, par l’émotion qui pointe d’une interprétation, par l’atmosphère intensément aérienne d’un enregistrement « live » au point de fermer les yeux et de se trouver sur le lieu de la performance. On reste coi devant tant de crédibilité.
Rapport qualité/prix : C’est à l’occasion de ce banc d’essai que nous avons découvert ces enceintes qui existent pourtant depuis de nombreuses années au catalogue du fabricant britannique. Très sincèrement, c’est une découverte, une révélation. Il aurait été impardonnable d’être resté dans l’ignorance d’un tel produit qui remet au passage en question pas mal d’idées prétendues nouvelles proposées par des constructeurs certes de bonne foi mais plus portés sur le sensationnel et sur le prix de vente. Une fois associées aux bons éléments, les IBX-R2 s’avèrent redoutablement musicales au point de se demander si elles ne vont pas aller ratisser sur le terrain d’enceintes coûtant beaucoup, beaucoup plus cher…
Verdict
Living Voice. Avec un tel nom, nous aurions dû nous douter que ces enceintes allaient chambouler nos idées reçues, nos a priori. Après la phase dubitative de la découverte des IBX-R2 à l’ouverture des emballages succède la phase de perplexité une fois les enceintes en régime de croisière. Comment une enceinte très bien fabriquée mais visuellement si humble peut sonner de la sorte ? Il apparaît évident que le constructeur s’est fondamentalement inspiré de la musique grandeur nature pour créer ces IBX-R2 dont la conception a demandé en réalité un travail considérable sur tous les fronts. Plus que n’importe quelle prose, plus qu’un long discours, les résultats sonores parlent d’eux-mêmes et ne laissent planer aucun doute quant au réalisme saisissant de ces floorstanders. En poussant le raisonnement plus loin, il n’est pas impossible que ces IBX-R2 vous fassent même apprécier la musique différemment. Définitivement recommandées !
Fiche technique
Origine : Royaume-Uni
Prix : 6 700 euros
Dimensions : 1 030 x 215 x 270 mm
Réponse en fréquence :
35 Hz – 30 kHz
Impédance nominale : 6 ohms
Sensibilité : 94 dB/W/m