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La Battersea Power Station : Centrale d'émotions de Pink Floyd

Située sur les bords de la Tamise, au sud-ouest de Londres, la Battersea Power Station a été l’une des plus importantes centrales électriques au charbon d’Angleterre.
October 11, 2025
La Battersea Power Station : Centrale d'émotions de Pink Floyd
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La Battersea Power Station : Centrale d'émotions de Pink Floyd

Située sur les bords de la Tamise, au sud-ouest de Londres, la Battersea Power Station a été l’une des plus importantes centrales électriques au charbon d’Angleterre.
La pochette est iconique. Son histoire est incroyable. Elle associe un groupe de rock mythique, un imposant bâtiment historique et un cochon volant ayant semé la pagaille dans le ciel de Londres. Dixième opus de Pink Floyd, l’album Animals est entré dans la légende à plus d’un titre.

Lorsque le 21 janvier 1977 l’album Animals arrive dans les bacs, Pink Floyd entame le jour même à Dortmund sa tournée de promotion baptisée « In the Flesh », lui faisant parcourir l’Europe, puis les États-Unis. Si le groupe anglais est déjà au sommet de sa gloire, l’album, dont la conception de la pochette a connu de nombreux rebondissements, est le premier enregistré dans les studios que ses membres se sont offerts deux ans plus tôt grâce au succès de Wish You Were Here, resté plusieurs semaines en tête des charts au Royaume-Uni.

À l’époque, le contrat entre le combo et son label, EMI, vient de s’achever, mettant fin à son accès illimité aux studios Abbey Road que les Beatles ont inscrit au panthéon musical. Craignant de devoir dépenser une fortune pour ses enregistrements, Pink Floyd décide alors d’acquérir un immeuble de trois étages, dans le quartier d’Islington, au nord de Londres, afin d’aménager ses propres studios. Situés au 35 Britannia Row, ils sont alors baptisés tout naturellement du nom de la rue où ils se trouvent.

GEORGE ORWELL ET LA FERME DES ANIMAUX COMME INSPIRATION

Les sessions de travail d’Animals débutent en avril 1976 et durent jusqu’en décembre de la même année. Dixième opus de Pink Floyd, ce concept album s’inspire du roman de George Orwell, La Ferme des animaux, paru en 1945, dans lequel l’écrivain britannique effectue une féroce critique de la société à travers une fable politique animalière où chaque animal est doté de traits de caractère et d’un rôle social bien précis.

Mais si le romancier réalise à travers son court roman une satire de la révolution russe, du bolchevisme, du stalinisme et plus généralement des régimes autoritaires, le groupe fait d’Animals une véritable critique du capitalisme. Bien qu’elle ne soit pas explicitement nommée, la future Première ministre britannique (1979-1990), Margaret Thatcher, alors leader des Tories, fait l’objet de plusieurs coups de griffes. La critique sera plus directe quelques années plus tard dans l’album The Final Cut.

Car à cette époque, l’Angleterre est en pleine mutation. Sur le plan politique, social, mais aussi musical. Le mouvement punk rock est en phase ascendante et critique lui aussi l’ordre établi, ses décisions et leurs conséquences. Il se dresse également contre la popularité de la musique rock.

Ainsi, Johnny Rotten, le leader des Sex Pistols, prend plaisir à arborer un t-shirt à l’effigie de Pink Floyd sur lequel les mots « I hate » ont été ajoutés. Pas rancunier, le batteur du groupe Nick Mason déclara quelques années plus tard avoir apprécié ce qu’il qualifiait d’« insurrection punk rock ». Des paroles sincères puisqu’il produisit en 1977 le deuxième album de The Damned, aux studios Britannia Row. Ces mêmes studios où il travaillait un an plus tôt sur le dixième album de Pink Floyd avec ses complices et un plaisir non dissimulé.

« Animals m’a procuré plus de plaisir que Wish You Were Here. L’esprit du groupe était de retour, » confia-t-il quelques années plus tard.
— Nick Mason

LA RENCONTRE DE DEUX MONUMENTS

À la fin de l’année 1976, alors que l’album est en cours de finalisation, vient le moment d’imaginer sa pochette. Tout naturellement, Pink Floyd se tourne vers le collectif de graphistes de l’agence Hipgnosis, à l’origine de plusieurs visuels marquants du groupe : la vache d’Atom Heart Mother (1970), l’oreille de Meddle (1971), le prisme et l’arc-en-ciel de The Dark Side of the Moon (1973) ou encore l’homme en feu de Wish You Were Here (1975).

Fondée par Storm Thorgerson, ancien camarade de lycée de Syd Barrett et Roger Waters, Hipgnosis tire son nom du jeu de mots entre « hip », pour le côté innovant, et « gnosis », pouvant s’associer aux connaissances et vérités cachées.

Mais les trois propositions du collectif ne séduisent pas le groupe. Finalement, l’idée finale revient à Roger Waters. À l’époque, celui-ci réside non loin de la Battersea Power Station et passe régulièrement devant cette vieille et immense centrale électrique au charbon, située sur les bords de la Tamise, au sud-ouest de Londres.

Conçue dans un style Art déco et inaugurée en 1933, dotée du plus grand turbo-alternateur à vapeur d’Europe en 1935, la Battersea Power Station en impose. Après son agrandissement en 1955, elle est même considérée comme le bâtiment en briques le plus grand d’Europe avec des dimensions hors normes : 160 m par 170 m et un toit situé à 50 m de haut. Ses quatre immenses cheminées de plus de 100 m, plantées à chacun de ses angles, lui confèrent cette identité si reconnaissable. Une œuvre architecturale à elle seule.

Pas étonnant que les Pink Floyd aient décidé de la mettre en scène. D’autant plus qu’au moment de la création d’Animals, la centrale est sur le déclin, une partie de ses activités ont été arrêtées en 1975 et elle sera totalement fermée huit ans plus tard.

Afin de faire écho au sujet de l’album, Roger Waters propose de faire flotter un immense ballon en forme de cochon rose entre les cheminées géantes de l’édifice. De là-haut, l’animal est censé observer « les errances et la décadence de la société ». Il faut également y voir une référence à l’expression populaire « When pigs fly », c’est-à-dire « Quand les cochons voleront », l’équivalent anglophone de « Quand les poules auront des dents ».

Tout le monde adhère. Il reste à passer à l’action. Si très vite, l’idée d’une incrustation photo est évoquée, Roger Waters la rejette avec force. Il veut une mise en scène en situation avec un véritable ballon. Pour le concevoir, le groupe se tourne vers l’artiste australien Jeffrey Shawvers ainsi que Ballon Fabrik, une société allemande ayant conçu par le passé les dirigeables Zeppelin. Mesurant 12 m de long, le cochon en néoprène est très vite baptisé Algie.

FRAYEURS AÉRIENNES & BOVINES

Gonflé à l’hélium, il est accroché à la Battersea Power Station le 2 décembre 1976. Onze photographes et huit cameramen, dont un en hélicoptère, sont présents pour réaliser les images de l’événement tandis qu’un tireur d’élite a été engagé afin d’abattre le ballon si Algie devait prendre la fille de l’air.

Mais la météo londonienne de décembre fait des siennes et, en raison du mauvais temps, l’envol est reporté d’une journée. Tout le monde revient le lendemain, sauf le tireur d’élite qui n’aurait pas été prévenu. Et en son absence, l’incident survient : ballotté par le vent, le dirigeable se détache de ses amarres et s’envole dans le ciel de la capitale anglaise.

Disparaissant dans les nuages, il monte à 12 000 m d’altitude et provoque une belle pagaille lorsqu’il passe au-dessus de l’aéroport de Londres-Heathrow, conduisant à l’annulation de plusieurs vols. Puis, Algie termine son escapade à Chilham, dans le Kent, à une centaine de kilomètres de Londres, où il atterrit dans un champ, rendant furieux le fermier l’ayant retrouvé en raison des frayeurs que l’arrivée du ballon a causées à son troupeau de vaches.

Le lendemain, le cochon est de retour à son point de départ. Il trône enfin entre les cheminées de la Battersea Power Station et les clichés sont pris sans aucun incident.

Mais cette pochette d’album n’est plus à un rebondissement près. Le résultat final, capturé sous un ciel bleu sans aucun nuage, est décevant et Hipgnosis finit par incruster Algie sur l’un des clichés pris lors des repérages de la première journée, alors que les cieux étaient très contrastés. Le rendu est superbe et le temps fait le reste.

La pochette d’Animals est progressivement entrée dans l’imaginaire collectif. Tout comme le cochon, devenu l’un des symboles du groupe et flottant ensuite lors de plusieurs de ses concerts. Et si la Battersea Power Station a depuis été transformée en logements et en centre commercial, l’ancienne centrale électrique londonienne reste à jamais associée à l’histoire de Pink Floyd.

En 2011, à l’occasion de la sortie de l’anthologie du groupe, Why Pink Floyd?, un cochon volant a effectué son retour entre les cheminées du bâtiment désaffecté. Algie n’étant plus en état de voler, il a laissé la place à une réplique de 9 m de long. Mais présent ou non, son souvenir reste, comme l’album auquel il est associé, intemporel.

Haute Fidélité N°274
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